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IV. La corporalité délicieuse et dégoutante: Luca et Cahun

  • Writer: Kelly O
    Kelly O
  • Dec 13, 2021
  • 3 min read

Nous passons maintenant à des représentations beaucoup plus corporelles des femmes et des hommes, où les poètes se délectent du désordre des corps et d’amours (ou des haines) réels.


Ghérasim Luca, “Cubomania” (image via rhuthmos.eu)


Gherasim Luca (1913-1994, Bucarest, Romania)


La fin du monde : Prendre corps (extrait)


1. je te narine je te chevelure

2. je te hanche

3. tu me hantes

...

4. tu me couvres

5. je te découvre je t’invente

6. parfois tu te livres

7. tu me lèvres humides

8. je te délivre et je te délire

9. tu me délires et passionnes

10. je t’épaule je te vertèbre je te cheville

11. je te cils et pupilles

12. je te rétine dans mon souffle

13. tu t’iris

14. je t’écris

15. tu me penses


*la rétine : les nerfs détectent la lumière et envoient des signaux au cerveau pour interpréter.

* l’iris : la muscle qui contrôle la taille de la pupille / la quantité de lumière qu’il laisse entrer.


Bien que les idées sexistes de la domination et même l'invention (5) de la femme me repoussent, j’admire l’usage musculaire et inventive des noms des parties du corps comme verbes. On voit encore la femme comme un fantôme (3) qui a seulement le pouvoir d’hanter l’homme avec la mémoire de son corps. Les parties de son corps sont complètement contrôlées par l’homme, (ou dominés par les parties de son corps, ce n’est pas totalement clair) sauf ses « lèvres humides » et son « iris ». Les deux fonctionnent comme des références sexuelles mais donnent un peu de contrôle à la femme et aide le poème à ne pas paraître (trop) violant. Je hais ce poème et l’applaudit aussi. Il succède merveilleusement à ce qu’il essaie à faire, avec tant d’énergie et de passion que je peux presque pardonner la misogynie. Au moins, j'aimerais voler son plaisir dans la langue.


Franz von Stuck « Judith » (1928). Marcel Moore, « Judith » (1926).

Claude Cahun (1894-1954, Nantes, France)


« Il faut croire qu'il méprise les femmes, et ne s'en cache point … Après qu'il a baisé son esclave il s'essuie furtivement la lèvre. II n'ôte point ses vêtements de peur de souiller de son corps plus qu'il n'est indispensable … Mais dès le chant du coq, il prend un bain, met la fille à la porte et fait changer les draps (la soie, le sang … )


« Que me plaît ce front fuyant, ces yeux morts, si lents des yeux petits, étroits, aux paupières énormes ce menton charnu mais point trop saillant cette bouche bestiate aux lèvres sensuelles, mais de la même peau, semble- t-il, que le reste du visage-bouche dont la fente, la gueule seule est admirablement dessinée, expressive, et dès qu'elle s'ouvre en demi-couronne, sombre, met en valeur les canines taittées en pointe comme les ongles de Judith !

« Ah! surtout, que me plaisent ces oreilles en éventait, cette nuque au poil court et la superbe verticale du crâne au cou, s'il penche la tête en arrière, brisée par des plis de reptile.


Je les aime parce que j'y reconnais les caractères distinctifs, odieux, de la race ennemie.


Comme moi et mes sentiments de rage et d’admiration pour « La fin du monde : prendre corps » et Ghérasim Luca, « La sadique Judith » de Cahun est mémérisée par la corporalité de l’homme, de l’autre, de « la race ennemie ». Quand elle tue Holopherne et son corps furieusement vivant, elle sent une grande perte surprenante. Sa tristesse vient parce qu’elle s’est reconnue dans la tête vivante d’Holopherne. Ils sont les deux violents, affamés, voraces, sexuels, sévères, impatients, dégouté par l’autre et dégoutant eux-mêmes. C’est un portrait de la femme beaucoup plus complexe et humain que la peinture deux ans après par Franz von Stuck (1928) de « Judith » comme femme fatale nue, fière de sa conquête sexuelle. Par contraste, Marcel Moore, dans son illustration pour « La sadique Judith » (1926), couvre le corps de la femme pour focaliser l’attention sur le visage intense et les mains puissantes tenant l’épée.




 
 
 

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