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V. La femme poète se décrit : Anne Hébert

  • Writer: Kelly O
    Kelly O
  • Dec 12, 2021
  • 2 min read
Je suis la terre et l'eau, tu ne me passeras pas à gué, mon ami, mon ami.

On arrive finalement à la femme poète qui se décrit son corps elle-même et qui résiste l’invasion par l’autre jusqu’à le moment du vraie consent.

Leonor Fini, date inconnue.

Anne Hébert (1916-2000, Québec, Canada)

Je suis la terre et l’eau


1. Je suis la terre et l’eau, tu ne me passeras pas à gué, mon ami, mon ami


2. Je suis le puits et la soif, tu me traverseras pas sans péril, mon ami, mon ami


3. Midi est fait pour crever sur la mer, soleil étale, parole fondue, tu étais si clair, mon ami, mon ami


4. Le malheur et l'espérance sous mon toit brûlant, durement noués, apprends ces vieilles noces étranges, mon ami, mon ami


5. Tu fuis les présages et presses le chiffre pur à même tes mains ouvertes, mon ami, mon ami,


6. Tu parles à haute et intelligible voix, je ne sais quel écho sourd traîne derrière toi, entends, entends mes veines noires qui chantent dans la nuit, mon ami, mon ami


7. Je suis sans nom ni visage certain ; lieu d’accueil et chambre d’ombre, piste de songe et lieu d’origine, mon ami, mon ami


8. Ah quelle saison d’âcres feuilles rousses m’a donnée Dieu pour t’y coucher, mon ami, mon ami


9. Un grand cheval noir court sur les grèves, j’entends son pas sous la terre, son sabot frappe la source de mon sang à la fine jointure de la mort


10. Ah quel automne ! Qui donc m’a prise parmi des cheminements de fougères souterraines, confondues à l’odeur du bois mouillé, mon ami, mon ami


11. Parmi les âges brouillés, naissances et morts, toutes mémoires, couleurs rompues, reçois le coucher obscur de la terre, toute la nuit entre tes mains livrée et donnée, mon ami, mon ami


12. Il a suffi d’un seul matin pour que mon visage fleurisse, reconnais ta propre grande ténèbre visitée, tout le mystère lié entre tes mains claires, mon amour.


Le corps féminin est ici fort et légère, plein de contradictions « durement noués » (4) avec une corporalité profondément naturelle et un « chambre d’ombre » (7) fantomatique. Il existe dans un temps brouillé (11), comme celle de Cendrars dans La prose du transsibérien, mais le poème fini avec une fleurissant du visage dans un « seul matin » (12), le temps finalement solide comme la terre. Le poème suivit son procès d’accepter l’amour, de se « livrée et donnée » sa nuit complexe à l’autre. Ce don est possible car, comme « La sadique Judith » (Cahun), dans l’autre elle « reconna[ît] [sa] propre grande ténèbre visitée » : l’égal à la sienne. Il faut que l’autre, qui « parle à haute et intelligible voix, … entends, entends [ses] veines noires qui chantent dans la nuit » (6) avant qu’elle puisse consentir à appeler cet « ami » (11) son « amour » (12). Hébert contraste la clarté de l’autre avec le mystère de sa nature, peut-être une cliché du masculin et féminin, mais elle insiste pour que l’autre respecte sa complexité et qu’il révèle la sienne.

 
 
 

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